mardi 23 septembre 2008

A rebours (Huysmans, 1884)



Au début fût le style. Celui du seul et unique personnage principal tout d'abord, Des Esseintes, qui afin d'échapper à une société trop grossière pour lui, se cloître dans la solitude d'une demeure fantasmagorique où il expérience son "art de vivre". Style littéraire aussi et surtout, d'une richesse linguistique inouïe, travail d'orfèvre halluciné qui porte l'œuvre de bout en bout à travers cette écriture nerveuse et jubilatoire.
On se heurte ainsi à des descriptions d'une méticulosité vertigineuse lors des soliloques de Des Esseintes: peinture, art floral, musique, littérature, les œuvres d'art sont décortiquées, analysées, encensées parfois. Et rarement critiques n'auront ainsi été revêtues d'une telle robe poétique. Rêveur, incisif, acerbe ou liturgique, Huysmans aborde par le biais de son vrai-faux double Gustave Moreau et Flaubert, Schubert et Baudelaire. Les références sont innombrables, à tel point que l'on se perd dans ce cataclysme fuligineux de noms. Mais qu'importe, car hormis la beauté purement stylistique de ces pages, c'est la névrose de Des Esseintes qui surgit sous cet océan de culture, sous cette obcession esthétique recherchée et subie, nécessaire et néfaste. Extirpé du naturalisme de Zola, Huysmans explore cyniquement les tréfonds de l'âme, les signaux de la décadence, les reliefs de la folie par cet acerbe portrait de son "Mr Hyde", expiant son mal. Car même gonflé d'élitisme méprisant et de réflexions savantes, c'est d'un véritable malade dont il est ici question. Fuyant l'ennui de la banalité par des plaisirs infiniment subtils, lorgnant vers l'irréel, Des Esseintes est inexorablement rattrapé par les effluves de parfum réalistes des rêves qu'il créer de toutes pièces. Toute action est bannie, sinon celle de substituer le rêve de la réalité à la réalité même. Ultime étape de fuite, de réclusion, de rejet. Dans son exécration de la société et de sa décadence, Des Esseintes construit sa propre perte, sa propre déliquescence. Quant à son créateur, capable contrairement à sa projection d'au moins un acte salvateur, celui d'écrire, il en tirera un deuxième, celui de croire.

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