lundi 1 décembre 2008

Après-Minuit

"Après minuit commence la griserie des vérités pernicieuses." E. Cioran

Les heures de l'Après-minuit, celles des solitudes mélancoliques ou grisantes, naissances d'une lucidité fugace au parfum d'inachevé.
C'est lorsque les autres dorment que notre propre éveil permet de juste poser un court regard sur ce qui est ou ce que l'on croit. Se sentir étranger à soi-même pour "voir", démiurge observant sa construction imparfaite. On ne se découvre que seul, dans la tempête tassée de son âme. Affres des songes qui nous rongent et nous découvrent dans un même mouvement cathartique. La fuite vers la compagnie des hommes permet d'oublier cette clairvoyance qui autrement serait fatale: autant tenter de maintenir l'équilibre et s'embourber volontairement dans une vision trouble, donc plus supportable. Emplir son corps pour vider son âme, on ne compte plus les verres que nécessite l'opération. Qui de toute façon finira tôt ou tard en un indicible avortement.
Jusqu'à rétablir dans une solitude retrouvée une fragile harmonie.

Les heures de l'Après-minuit, baignant dans le fracas des voix qui s'élèvent toujours plus haut, portées par la délicieuse chaleur de l'alcool.
Celles du partage, des éclats, des excès. La joie, même si mirage et éphémère, à portée de main, tandis que l'amitié partage ses goulots. Coup de pied au cul du sommeil pernicieux et précoce, affirmation d'une vitalité autrefois contenue. Refaire le monde, invoquer les étoiles, côtoyer les anges. L'imprévu s'invite à chaque coin de rue, hasard bienvenu qui nous ensorcelle.
Jusqu'aux pas chancelants qui nous guident tant bien que mal jusque dans les bras d'une Morphée tourmentée.

Les heures de l'Après-minuit, celles des "imaginaires" plus vrais que nature, page après page, image après image, son après son. Celles de l'appétence pour le beau. Y plonger, aidé par le silence et la nuit, jusqu'à ce que le sommeil sépulcral absorbe temporairement cet autre monde qui aura été nôtre. Élévation des perceptions dans l'alcôve des ténèbres inspirés, inspirants. Ne plus retenir les mots et les pensées, pour en finir avec la pudeur du jour, faire jaillir ou recueillir, au choix. Accalmie extérieure qui entraîne le bouillonnement des idées, des sens, des appréciations.
Jusqu'à quitter le livre, terminer le film, éteindre la musique, ou poser la plume.

Les heures de l'Après-minuit, celles que j'aime jusque dans leur triste solitude.