Le vent se lève au large, tandis que le soleil gît au firmament, astre déchu aux effluves de chaleur mourantes. Les vagues s'affolent au rythme des bourrasques jusqu'à former l'ultime tempête qui balaiera notre humanité pervertie. Pluie purificatrice visant à ensevelir le règne fallacieux du paraître et de la mercantilisation omnipotente, tandis que les accalmies passagères proclament l'indicible avènement du déluge.
C'est au même moment que la ville se réveille, immense squelette gris de béton animé par ses millions de fourmis inutiles. Les néons rougeâtres qui enveloppent le quartier d'une âcre lueur laissent progressivement place aux lumières blanches qui s'allument une à une, tandis que les bennes à ordures finissent leurs tournées nocturnes, laissant flotter dans l'air frais du petit matin une vague odeur de putréfaction. Face à la gare se dressent d'immenses gratte-ciels abritant banques et compagnies d'assurance. On mesure la réussite de l'entreprise à la hauteur du bâtiment qui l'abrite. Vanité qui engage les hommes et leurs constructions dans une absurde lutte de conquête des hauteurs, tentant d'atteindre un paradis imaginaire aux relents de pouvoir et d'argent. D'autres ont effleuré un autre Éden durant la nuit, avant de le perdre jusqu'au prochain fixe . Fantômes délaissés, ils traînent leur faillite aux pieds des buildings, semant petits bouts de cartons, seringues usagées, cuillers tordues et relents de mort prématurée. Si bien qu'au petit matin, le jeune cadre accélère le rythme de ses pas lorsqu'il s'apprête à rejoindre son lieu de travail, tentant d'échapper à ces visions d'horreur et aux hurlements incompréhensibles de ces silhouettes qui gisent aux pieds des bâtiments, la chair parfois à vif à force de se piquer. Plus loin, sur le trottoir, on peut apercevoir trois individus en train de fumer leur pipe à crack, tandis que les lueurs stroboscopiques d'un gyrophare se perdent dans la nuit fuyante. Quelques touristes japonais, passablement apeurés, s'aventurent hors de la gare pour tenter de rejoindre leur hôtel, tandis qu'une pute descend d'une voiture. Sa journée se termine, tout comme celle de ces autres êtres en déroute, qui disparaissent progressivement des rues, se terrent ou s'activent à préparer leur prochaine nuit, qui, si tout va bien ressemblera à la précédente. Ou alors ce sera le manque et ses ténèbres autrement plus sombres...
Tandis que les junkies disparaissent progressivement des rues, la relève s'active, à la manière des trois-huit. C'est au tour des nombreux employés et cadres d'entamer leur journée désormais. Par milliers, ils se pressent aux pieds des immenses bâtiments, se croisent et s'entrecroisent au gré des escalators, des corridors, des bureaux. Leurs pas sont rapides et assurés, la finance ne pardonne pas les hésitations. Et puis, mieux vaut rejoindre rapidement le microcosme de leur gratte-ciel, oublier ces silhouettes nocturnes d'un autre monde. Si seulement tout pouvait être parfaitement réglé, ils n'auraient alors à croiser cette misère trop visible, trop gênante, ces retardataires de la nuit, relents de faillite qui les ramènent à une réalité autre que celle de la bourse. Mais qu'importe, on oublie vite après tout. Surtout qu'au contraire de ces vampires déchus, l'avenir leur appartient. Comment en douter, alors même que la griserie engendrée par la fulgurante montée de l'ascenseur augure d'une ascension carriérale tout aussi rapide. Car du haut de ces bâtiments, on dirige le monde, ou alors on espère le faire. Au pire, on gagne juste beaucoup d'argent...
Le crépuscule tombe désormais sur la ville. Encore lointaine et anémique à l'aube, la pluie s'abat désormais en rafale sur les immenses tours élancées, sur les trottoirs, immergeant graduellement la cité qui se liquéfie peu à peu. Et tandis que le déluge se profile, les éclairs semblent s'acharner à vouloir toucher les antennes des gratte-ciels, monstres de béton et de verre soudain moins imposants, moins assurés. L'eau monte et monte encore...
Accompagnés par les rires machiavéliques des junkies qui comme par miracle semblent insubmersibles et se contentent de se laisser flotter à la surface, les employés se noient, emportés par les torrents qui traversent la ville. Les attachés-cases voguent par milliers à la surface, tandis que les hurlements des futurs noyés, vite étouffés par les trombes d'eau, se multiplient. Des radeaux improvisés sillonnent cet océan nouvellement formé. A leur bord, les rescapés jettent des regards diaboliques aux travailleurs qui se noient, profitant d'un instant de répit entre deux shoots pour faire couler un cadre apeuré qui tente de s'agripper au bateau, lui faisant lâcher prise d'un coup de piquouse. Un squelette frénétique assomme le directeur de la Deutsche Bank avec sa pipe à crack, celui-ci découvre la crise, la vraie. D'autres rescapés s'amusent à l'aide de leur cuillères à limer les mains de ceux qui s'agrippent à l'immense Arche sur laquelle ils naviguent désormais. Toutes les espèces de junkies y sont représentés: un fumeur de joint plaque quelques accords de guitare tandis qu'un alcoolique tente de lui arracher son instrument des mains. Un peu plus loin, une pute héroïnomane s'essaye au crack sous le regard bienveillant d'un vieillard de 25 ans qui n'a plus de dents. Défoncé au LSD, un ancien hippie tente d'escalader le mât de l'Arche. Il glisse une première fois, une deuxième, puis chute finalement sur le pont du navire. Bruit sourd, flaque de sang, dernier râle. Pris d'un fou rire, quelques ados sous champis observent le cadavre. A l'arrière de l'embarcation, un cocaïnomane explique à ses congénères que c'est lui qui a bâti l'Arche en quelques heures seulement, ayant senti venir l'Apocalypse. Un teufeur sous amphets lui file une claque, coups de poings, baston générale...
La grande Marée amorce alors son retrait: peu à peu, la ville refait surface. Surgissent d'abord les longues antennes perchées en haut des grattes-ciels, puis les bâtiments qui les portent, et progressivement les flots se retirent. Les frontières de la ville dessinent alors les contours d'une île perdue au milieu du grand Océan. Une terre désormais jonchée de cadavres aux costumes mouillés, dépouilles putrescentes d'une époque révolue, auxquelles s'ajoutent celles presques aussi inertes des silhouettes descendues de l'Arche, morts-vivants parmi les charognes, fantômes parmi les esprits, trépassés de la vie parmi les nécrosés.
Avant que l'île ne sombre peu après dans les tréfonds d'un Océan rédempteur ensevelissant définitivement les restes du marasme humain...
5 commentaires:
Payasage terriblement morbide que celui de Francfort!
J'aurais cependant besoin de vos "lumières" pour comprendre une description:
- " lueurs trombinoscopiques d'un gyrophare" c'est quoi? J'ai une vague idée de ce que peut être un trombinoscope, mais dans le cas présent... Je manque d'imagination^^
Sinon, le texte est merveilleusement dépriment et critique, y aura-t-il une suite?
Amicalement, Dilettante
Vous faîtes bien de me poser la question car je me suis lamentablement planté. En effet, il fallait lire "stroboscopiques" et non "trombinoscopiques" qui, effectivement, même avec de l'imagination était difficile à comprendre. Autant pour moi.
Sinon, il n'y aura pas de suite à proprement parler, peut-être d'autres textes dans le même style mais je n'en sais trop rien.
Amicalement, Chinaski
Une autre erreur s'est glissée sur votre dernier commentaire.
En effet on dit "au temps pour moi" et non "autant pour moi".
Cordialement.
Cher Maître Capello, on peut apparemment utiliser les deux:
"Le débat reste entier quand il s'agit de la formule prononcée en cas d'erreur (notamment — mais pas exclusivement — de la part d'un supérieur ou responsable s'adressant ainsi à ses subordonnés). La plupart des auteurs normatifs et des lexicographes penchent pour la graphie au temps pour moi avec une origine militaire (et le calque de au temps pour les crosses ou musicale (erreur du chef d'orchestre).
Toutefois autant pour moi reste revendiqué comme ellipse de c'est autant pour moi. Même si cette revendication est minoritaire, elle n'est pas nécessairement infondée."
Amicalement, Chinaski.
Dantes Inferno oder einfach nur das gute alte Frankfurt. Vielleicht solltest du den Text mal unserem Freund, dem French Psycho mit der großen Stereoanlage, schicken... ;-)
Gruß
Igor Weltwein (der Name ist mir die Nacht im Traum eingefallen)
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