Retour dans le temps au début des années 80, lorsque cheveux décolorés et jeans déchirés choquaient encore les parents, à l'époque du "no future": Pourquoi perdre son temps à apprendre un métier? N'était-il pas bien plus intéressant de passer son temps à se défoncer et à mettre la musique à fond pour que les voisins aussi puissent profiter du dernier album des Dead Kennedys? De rejeter radicalement tout compromis avec la société et de vivre sa révolte à fond et jusqu'au bout?
"Heute Spass und morgen tod" ( "s'amuser aujourd'hui et mourir demain" ) répondent affirmativement les cinq punks de Vorkriegsjugend, qui, bien que passant leur temps à squatter et boire, trouvent le temps entre 1982 et 1983 de sortir un EP et un album, regroupés ici sous le titre de Wir sind die Ratten ( "Nous sommes les rats" ) et agrémentés de quelques inédits. Voyage dans le Berlin des années 1980, celui de Christiane F. et d'une génération perdue par l'héroïne, celui des appartements miteux et des concerts qui finissent en baston, voilà où nous renvoie VKJ avec ce gros crachat à la face de la société.
Sombre, directe, haineuse, la musique du combo s'apparente aux débuts du hardcore US, à Black Flag et Negative Approach, même si Vorkriegsjugend aère bien plus ses morceaux que ses collègues d'Outre-Atlantique, pour un résultat plus digeste, plus de punk moins de hardcore pourrait-on dire. Pourtant, un coup d'oeil sur la date de sortie du premier EP des allemands, et l'on se dit qu'il n'est pas possible de parler d'influences, car les américains n'en sont également qu'aux balbutiements de ce qui deviendra le hardcore. Detroit, L.A. ou Berlin, la haine et le refus sont les mêmes et s'expriment sous la forme de musique la plus délicieusement dégénérée que l'humanité ait connue: le punk, celui des origines, celui qui tâche, sale et sans concession.
Authentique, épurée, la musique de Vorkriegsjugend symbolise la négation et la colère à l'état pur ( "Marchons nous contre l'Est? Non! Marchons nous contre l'Ouest? Non! Marchons contre le monde entier car ce monde ne nous plait pas" ). Pas de chichis politiques, la vision de nos cinq allemands est radicalement désabusée. Seule issue possible: une vie marginale ( "Nous sommes les rats et vivons dans la saleté" ). Les riffs répétés jusqu'à s'incruster définitivement dans notre pauvre crâne maltraité par tant de haine semblent déchirer l'atmosphère d'une ville perdue dans une vision apocalyptique, asphalte des ghettos et citée noyée dans la froideur de ses murs, de ses ruines plutôt devrait-on dire tant l'aspect squelettique de Berlin est encore aujourd'hui présent ("Der Sarg" et sa vision du tombeau bétonné de la métropole). Mais ce qui donne sa véritable âme à cette musique, c'est la voix de son chanteur, Klaus Hickert, rageuse au possible mais jamais monolithique et souvent accompagnée sur les refrains par celles de ses comparses pour des sing-along plus mélodiques. Les sonorités de langue allemande collent parfaitement à cette musique, puissantes et incisives, martiales et massives, et représentent un véritable plus, d'autant que les paroles sont à la hauteur, d'un cynisme tout simplement jouissif.
Reflet de la jeunesse désabusée d'une époque, tributaire d'un esprit punk flirtant avec le nihilisme, image d'une société allemande rongée par son passé, d'une ville en ruine coupée en deux, Vorkriegsjugend vomit son désespoir et son refus, nous englobant dans la noirceur de son monde avec son punk abrasif et misanthrope. Cultes et pourtant relativement méconnus même en Allemagne, l'influence du groupe sera cependant primordiale sur la scène punk underground germanique qui les érigera au rang de légendes vivantes après uniquement un album.
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